4.1 La forte prévalence dans l’Église ? Les travaux de la CIASE fournissent des éléments très intéressants qui n’ont pas été exploités
4.2 La véritable raison de la forte prévalence dans l’Église : la surreprésentation de prêtres à tendance homosexuelle et bisexuelle.
4.3 Le Pape Benoit XVI avait compris depuis longtemps ce facteur-clé
4.4 Un phénomène complémentaire : la solidarité au sein du clergé explique également la protection dont ont bénéficié les abuseurs
4.5 La manière dont la CIASE a considéré Benoît XVI est le révélateur de son approche idéologique ayant permis de mettre de côté une observation-clé faite lors des travaux de terrain
4.1 La forte prévalence dans l’Église ? Les travaux de la CIASE fournissent des éléments très intéressants qui n’ont pas été exploités
Il faut cependant reconnaître que le rapport apporte un autre argument pour mettre en avant le caractère systémique au sein de l’Église : la plus forte prévalence du phénomène dans l’Église. Selon les chiffres du rapport, 1,2% des jeunes auraient été abusés dans l’Église, contre 0,3% au sein de l’éducation nationale ou dans les clubs sportifs. En admettant que les chiffres de ce rapport sont sans biais significatif [1], il y aurait ici la véritable information d’extrême gravité issue de cette enquête qui justifierait le qualificatif de phénomène « systémique » en ce qui concerne l’Église. Est-ce à dire que la messe est dite ?
Je ne le crois pas. En analysant les chiffres du rapport, on trouve une très curieuse anomalie concernant les abus commis par les prêtres par rapport à ceux commis par la population générale : si 4,6% des abus sont commis par des prêtres, ils le sont à 78,5% envers des garçons et 11,5% envers des filles, tandis que les 95,4% des abus commis par la population générale (hors prêtres) le sont à 25,8% envers des garçons et 74,2% envers des filles (selon le rapport INSERM).
En d’autres termes, c’est le nombre de garçons abusés au sein de l’Église qui est la cause de tous ces scandales et débats, bien plus que celui des filles (en termes statistiques, car bien sûr tout abus reste scandaleux). On a d’ailleurs pu constater le même phénomène au sein de l’Église dans d’autres pays.
Le rapport de l’INSERM peine à donner une explication à cela, il s’agirait du fait que les prêtres catholiques sont plus souvent en contact avec des garçons « on a donc ici […] la confirmation que le choix d’objet de la part des abuseurs, en termes de sexe ou d’âge de la personne abusée est d’abord une question d’opportunité et de disponibilité des mineurs avant d’être une question de préférence sexuelle ». C’est une idée qui peut expliquer certainement une partie du phénomène, mais qui aussi permet de relativiser le caractère systémique spécifique à l’Eglise : en effet, on peut tout simplement constater alors que la forte prévalence au sein de l’Eglise est liée à la forte présence éducative des prêtres et religieux jusqu’à la fin des années 1970. Il y avait une très forte proximité entre les prêtres et les enfants et jeunes, qui a créé une opportunité. Cette présence forte n’est pas comparable à celle d’autres lieux de socialisation laïcs, comme les écoles laïques (la présence de prêtre dans les pensionnats n’est pas comparable à celle de professeurs dans un simple collège) ou les clubs de sport (où les enfants ne viennent que quelques heures par semaines). En outre, cette opportunité n’est probablement pas un hasard pour certains, mais peut correspondre à une stratégie personnelle : elle pourrait être une des motivations inconscientes[2] voire cachées de certaines vocations.
Cependant, ce phénomène d’opportunité ne saurait suffire à expliquer un tel écart qui est extrêmement significatif. En effet, y a deux choses à savoir :
- Les missions du prêtre le mettent en contact avec des filles et des garçons, même s’il est vrai qu’avant 1970 (date de bascule que l’on retient par simplicité, liée aux changements post Vatican II[3]), les contacts avec garçons étaient effectivement plus fréquents du fait de structures comme les pensionnats et petits séminaires, ainsi que des enfants de chœur qui étaient uniquement des garçons.
- Il n’est pas forcément intuitif de comprendre un tel écart, qui est totalement atypique. Il signifie pourtant qu’un abuseur prêtre se porte 10 fois vers les garçons qu’un abuseur dans la population générale[4].
Pour justifier que cette différence n’est pas due à l’orientation sexuelle, le rapport de l’INSERM explique qu’il y aurait 42,2% de filles et 57,8% de garçons parmi les enfants au contact des prêtres en paroisse. Il ne voit pas qu’en donnant ces chiffres, il démontre au contraire très clairement la forte proportion de prêtres attirées par les garçons puisque nous restons loin du ratio 74,2% filles / 25,8% garçons des enfants abusés par la population générale hors prêtres. Un simple calcul de « règle de trois » montre que la part des abuseurs dans le clergé attirés par des garçons devrait être de 43% pour retrouver ces chiffres, sous l’hypothèse conservatrice que ces derniers n’abuseraient que des garçons[5].
Le comble est que cette interprétation douteuse du rapport INSERM est battue en brèche par le rapport Sauvé lui-même dans son § 546 « dans près de la moitié des cas, les agresseurs sexuels de mineurs se déclarent homosexuels (plus de 80 % chez ceux qui agressent des victimes de sexe masculin) ». Nous retrouvons donc tout à fait l’évaluation de 43% faire un peu plus haut.
En somme, les travaux de la CIASE établissent de manière indéniable le lien entre orientation sexuelle, mais sans en tirer aucune conséquence dans les 45 recommandations.
Il est donc établi qu’il y a une volonté des membres de la CIASE (et plus particulièrement des rédacteurs du rapport INSERM) de nier tout lien entre l’orientation sexuelle des prêtres et les abus, mais que cela ne résiste pas à l’analyse des faits rapportés par la CIASE elle-même.
Nous avons mis en évidence ici un tabou majeur des travaux de la CIASE[6]. Il est probable que celui-ci soit lié au tabou contemporain concernant le lien existant entre homosexualité et pédérastie[7].
S’il y avait quelque chose de relatif au système « Eglise », il était pourtant bien ici. Nous allons l’analyser dans la suite du document.
4.2 La véritable raison de la forte prévalence dans l’Église : la surreprésentation de prêtres à tendance homosexuelle et bisexuelle.
La lecture de ces données quantitatives du rapport INSERM et des interviews menées par la CIASE donne une interprétation toute autre de la prévalence des agressions dans l’Église que celle donnée par les réflexions INSERM / CIASE : cette prévalence particulière est liée à l’anormale proportion de personnes à tendance homosexuelle parmi les prêtres (phénomène déjà largement documenté et reconnu dans le rapport de l’INSERM), eux-mêmes ayant une plus forte propension à commettre des abus du fait d’une affectivité déréglée (je tiens à préciser ici qu’il ne s’agit absolument pas de de dire qu’une majorité de personnes homosexuelles soient pédophiles), comme en témoigne de rapport CIASE lui-même puisque près de 50% des abus sur mineurs sont commis par des prêtres à tendance homosexuelle et plus de 80% pour les abus de garçons. Le chiffre de 80% montre clairement la sur représentation de prêtres à tendance homosexuelle dans les abus. Il est très probable aussi que le chiffre de 50% pour les abus en général traduise cette sur surreprésentation, à moins de penser que 50% des prêtres sont de tendance homosexuelle. D’autres éléments du rapport viennent confirmer cette hypothèse :
- Dans le § 547 « La sexualité des agresseurs de victimes mineures de sexe masculin ou des deux sexes semble plus développée avec un sentiment de frustration plus important comparativement aux agresseurs de victimes de sexe féminin»
- Une autre donnée du § 546 fait apparaître une part de personnes à tendance homosexuelles bien moindre « Parmi les agresseurs de victimes majeures, 20 % se déclarent homosexuels et aucun ne déclare de bisexualité ».
- Toujours au § 0546 « dans un tiers des cas, ils [les agresseurs de mineurs] se déclarent bisexuels ». Il n’y a donc que 20% de personnes de tendance purement hétérosexuelle parmi les abuseurs de mineurs.
- Et également au § 0546 « Parmi les agresseurs de victimes mineures de sexe féminin, tous se déclarent hétérosexuels. » : Ceci est une observation fondamentale qui achève de confirmer que le caractère systémique des abus est lié à la tendance homosexuelle, vue la très faible part dans l’Eglise de victimes féminines comparé à ce qui est observé dans la société entière (cf. § 1). Par ailleurs, cette observation relativise fortement l’argument de « phénomène d’opportunité » mis en avant par l’INSERM pour expliquer les prêtres s’attaquent principalement aux garçons. L’orientation sexuelle est bien un facteur déterminant.
Nous avons donc identifié là une cause essentielle de la trop forte prévalence des abus sexuels dans l’Église, et certainement le véritable phénomène systémique, dans le sens où il serait spécifique à l’Eglise.
Ceci est une véritable bombe, soigneusement occultée dans les conclusions des rapports de la CIASE[8], qui choisissent plutôt de mettre en cause l’institution et sa théologie. Même si cela éclate au grand jour avec le temps, le mal aura été fait. La négation de la surreprésentation des prêtres à tendance homosexuelle dans les abus aura produit les conséquences néfastes sur l’Église issues d’un diagnostic fortement biaisé. Mais surtout, et c’est encore plus grave, cette occultation ne permet pas de prendre certaines mesures qui sont susceptibles de protéger les enfants, lors de la sélection des candidats au sacerdoce.
4.3 Le Pape Benoit XVI avait compris depuis longtemps ce facteur-clé
Ceci tranche avec l’approche du pape Benoit XVI, qui est, pour rappel, celui qui a été un précurseur au Saint-Siège dans la lutte contre les abus au sein de l’Église, ayant notamment publié en 2001 - alors qu’il était préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi - la lettre « De delictis gravioribus » exigeant que les abus sexuels soient rapportés par les évêques à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ou en ayant fortement contribué aux révélations concernant les actes d’abus de Marcial Maciel, le fondateur des légionnaires du Christ. Il témoigné de l’urgence d’un changement de mentalité pour combattre les abus. Il a également été particulièrement attentif aux victimes qu’il a choisi de rencontrer à plusieurs reprises lors de ses voyages apostoliques dans une démarche d’écoute, de proximité et de demande de pardon.
Dans l’Instruction sur les critères de discernement vocationnel au sujet des personnes présentant des tendances homosexuelles en vue de l'admission au séminaire et aux Ordres sacrés[9] qu’il a ordonnée en 2005, première année de son pontificat, marquant ainsi combien ce sujet lui était prioritaire, il est écrit « Si un candidat pratique l'homosexualité ou présente des tendances homosexuelles profondément enracinées, son directeur spirituel, comme d'ailleurs son confesseur, ont le devoir de le dissuader, en conscience, d'avancer vers l'Ordination. »
Et également : « De plus, il ne faut pas oublier les conséquences négatives qui peuvent découler de l'Ordination de personnes présentant des tendances homosexuelles profondément enracinées. » et que le « directeur spirituel […] a l'obligation d'évaluer toutes les qualités de la personnalité et de s'assurer que le candidat ne présente pas de troubles sexuels incompatibles avec le sacerdoce. » [10]
Dans le commentaire de cette instruction accessible sur un site officiel de la Conférence des évêques suisse[11], il est écrit « La crise des scandales sexuels aux Etats-Unis dans les années 2000 n’a cependant fait qu’accélérer le processus d’élaboration du document. En effet, l’Église catholique s’est alors rendu compte que derrière le terme « pédophilie » se cachait souvent en réalité l’homosexualité de prêtres ne parvenant pas à vivre chastement. ».
Les choses sont donc très claires : le cardinal Ratzinger avait identifié, à la suite des enquêtes dans les pays anglo-saxons, les tendances homosexuelles non maîtrisées parmi les candidats au sacerdoce comme un facteur-clé des abus et a souhaité tarir à la source cette déviance.
Sans surprise, cette instruction du pape a été largement et vertement critiquée en 2005 et a été largement oubliée depuis, tant on n’en parle plus y compris dans les recommandations de la CIASE alors même - et c’est l’ironie de l’histoire – que les seules recommandations que la CEF et la CORREF attendaient de la CIASE étaient l’évaluation des mesures prises dans l’Eglise depuis 2000 !
4.4 Un phénomène complémentaire : la solidarité au sein du clergé explique également la protection dont ont bénéficié les abuseurs
Cette omission volontaire de tout commentaire de l’instruction de Benoît XVI (dont on verra plus loin, § 4.5, qu’il est mentionné dans le rapport Sauvé d’abord pour être remis en cause et non pour son action énergique pour s’attaquer au problème de la pédophilie), qui aurait due pourtant être au cœur de ses travaux, confirme l’interprétation largement biaisée des observations établies par la CIASE.
Pourtant l’instruction de Benoît XVI est bien mentionnée dans le rapport INSERM mais celui-ci donne une interprétation qu’il vaut la peine de mentionner dans son intégralité tant la pensée est confuse et le style jargonnant, confirmant toutefois le constat que l’homosexualité est bien trop présente parmi le clergé, que ceci est tabou et que ce n’est pas sans conséquence sur la pédocriminalité[12] :
« Il faut également évoquer ici, pour mieux contextualiser les effets des violences subies enfants chez les actuels clercs, la thèse d’un « biais de sexualité » dans les parcours de socialisation à la vocation religieuse ou sacerdotale. Ce filtre de sexualité implicite (l’obligation du célibat ecclésiastique favoriserait l’exclusion des candidats non-hétérosexuels36, et, au contraire, induirait un “effet de trappe à hétérosexuels[13]”), redoublerait le filtre explicite de genre (l’exclusion officielle des femmes et des hommes en couple). Si évident au regard de la surreprésentation des personnes homosexuelles au sein du clergé, il apparaît doublement impossible à verbaliser au sein de l’institution. D’abord, parce que, comme l’écrivait le sociologue Charles Suaud : « le processus d’inculcation de la vocation vise à imposer, en même temps que la vocation, la méconnaissance des déterminismes qui la rendent possible », ce qui signifie que croire à sa propre vocation consiste justement à ne pas pouvoir reconnaître que celle-ci est déterminée. Ensuite, parce que la question de la surreprésentation de l'homosexualité chez les religieux et les prêtres apparaît plus que jamais comme le dernier tabou au sein de l’institution catholique. Les récentes crispations du Magistère romain sur la question à l’heure de la libéralisation de la conjugalité gay en témoignent. En 2005, le cardinal Ratzinger, en tant que préfet pour la doctrine de la foi, faisait expliciter l’interdiction d’ordonner des candidats au sacerdoce homosexuels et/ou soutenant la « culture homosexuelle ». Cinq ans plus tard, en 2010, devenu Benoît XVI, le même réaffirmait dans un livre-entretien sa crainte que « le célibat des prêtres soit pour ainsi dire assimilé à la tendance à l’homosexualité ». Or, ce biais peut avoir des conséquences indirectes sur l’impunité des prêtres abuseurs au-delà d’un effet sans doute marginal d'attrait de candidats “pédophiles”. En effet, le tabou institutionnel quant à l’homosexualité cléricale a largement participé à accroitre la confusion entre homosexualité et pédocriminalité, et finalement à empêcher toute verbalisation des violences pédocriminelles au sein de l’institution. Par peur du outing[14] - devenu une arme politique parmi le haut-clergé - nombre de prêtres homosexuels se sont effectivement tus à propos des déviances de leurs confrères pédocriminels ou des violences qu’ils ont eux-mêmes pu subir enfants – au moins jusqu’à il y a peu – alors même que leur propre “déviance” au regard des normes ecclésiastiques n’est pas du même ordre aux yeux de la loi et des mœurs séculières : des désirs ou même des pratiques consentantes entre adultes de même sexe n’ont rien à voir avec des violences sexuelles infligées à des enfants ou des femmes. »
En synthèse de ce raisonnement, en espérant l’avoir compris :
- L’Église est un lieu hétéronormé.
- De ce fait les hommes à tendance homosexuelle trouvent une échappatoire en devenant prêtres.
- Or dans l’Église, il y a un amalgame entre pédophilie et homosexualité.
- Donc les prêtres (de tendance homosexuelle) ne dénoncent pas les abus car ils ne peuvent dénoncer leurs propres turpitudes ni celles des autres prêtres
Ce qui est très intéressant, c’est que cette description de la réalité ecclésiale laisse transparaître de manière assez évidente la réalité du problème, avec la juste analyse qui serait la suivante, assez proche de la précédente, sauf dans la troisième prémisse qui constitue l’enjeu clé du débat non ouvert par la CIASE :
- Le célibat est un état de vie qui attire les hommes de tendance homosexuelle.
- Il y a donc surreprésentation de prêtres à tendance homosexuelle.
- Or il y a un lien entre homosexualité et pédophilie (je précise à nouveau que ce lien statistique ne signifie absolument pas qu’une majorité d’homosexuels soient pédophiles ; je précise par ailleurs que ce lien est paradoxalement établi par Frédéric Martel[15] lui-même dans sa description du système de chantage à la dénonciation / connivence explicité ci-dessous).
- Donc il y a une solidarité homosexuelle qui ne favorise pas le fait de dénoncer les abus.
Cette analyse est recoupée par celle de l’audition par la CIASE de Frédéric Martel, auteur d’une enquête polémique sur la surreprésentation de l’homosexualité au sein du clergé[16]. Lors de son audition, celui-ci avait affirmé que si phénomène systémique il y avait (« la question des raisons du cover-up, la couverture ou la dissimulation, que j’ai davantage traitée que les abus eux-mêmes car c’est là qu’apparaît la dimension systémique du phénomène »), il relevait d’une forme de chantage à la dénonciation exercé entre clercs homosexuels : « mais si je [l’évêque] suis moi-même homosexuel et que cela est connu du prêtre incriminé [soupçonné d’abus sexuel sur un garçon, et auditionné par l’évêque], il a sur moi un moyen de chantage fort [la dénonciation de l’homosexualité de l’évêque] ». Frédéric Martel insistait par ailleurs sur l’importance de rappeler « qu’il n’y a pas de lien, de mon point de vue, entre homosexualité et pédophilie » et que « les abuseurs sexuels » sont « tout autre chose que les homosexuels, même quand les victimes sont des hommes ou des garçons mineurs » (commentaire : il faudrait alors expliquer pour quelle raison les prêtres choisissent de manière extrêmement majoritaire les garçons comme victimes), alors que l’Église n’aurait « jamais fait cette distinction entre deux choses qui n’ont aucun rapport, puisque tout est péché » (commentaire : ceci n’a aucun sens, car l’Eglise n’a jamais confondu le péché d’homosexualité et de pédophilie, cf. l’article 2389 du catéchisme de l’Eglise catholique déjà cité au § 3.4) : Ce qui est intéressant est qu’on retrouve ici deux éléments clés de la pensé de la CIASE, l’occultation du problème de l’homosexualité et une vision totalement faussée de la notion de péché.
En complément de cette analyse, je rapporterai un témoignage personnel d’un ami séminariste qui a quitté le séminaire du fait que l’ambiance y était très favorable à la tendance homosexuelle. Ce mode de recrutement favorisant les candidats de tendance homosexuelle avait également été mis en évidence dans un article de la revue Liberté Politique de 2003 sur les abus aux Etats-Unis[17].
La question systémique n’est donc pas seulement dans la protection offerte aux abuseurs, mais également dans la sélection des candidats au sacerdoce.
On pourra s’interroger tout particulièrement sur l’occultation de ce facteur : Pourquoi ne pas avoir mis en avant le seul phénomène systémique mis à jour par ses études et auditions ? Serait-ce parce qu’elle aurait alors forcé la CIASE à présenter la seule alternative qui en découle pour y mettre fin : la réaffirmation forte de sa condamnation comme acte « intrinsèquement désordonné »[18] ?
4.5 La manière dont la CIASE a considéré Benoît XVI est le révélateur de son approche idéologique ayant permis de mettre de côté une observation-clé faite lors des travaux de terrain
Nous avons relevé de nombreux un biais (idéologiques) dans l’interprétation des abus par la CIASE. Cette logique conduit la commission à critiquer à plusieurs reprises Benoît XVI, alors même que nous avons noté qu’il avait été particulièrement actif pour combattre ce fléau. Cependant celui l’a fait avec équilibre, sans remettre en cause la structure de l’Eglise, au contraire des interprétations que la commission souhaitait mettre en avant. Les § 1224 et 1225 du rapport Sauvé méritent d’être cités particulièrement « Comme sur d’autres sujets, creuser un tant soit peu sous la surface des choses a suscité au sein de la commission des constats mitigés : à côté de la prise de conscience proclamée à la face du monde des excès de la verticalité, que Vatican II a entendu infléchir et que le pape François, plus que d’autres sans doute, continue d’atténuer, on trouve encore, y compris dans la période récente, des marques de réaffirmation qui peuvent étonner. Ainsi du texte, intitulé Directoire pour le ministère et la vie des prêtres et publié par la Congrégation pour le clergé en février 2013, quelques jours seulement avant l’annonce par Benoît XVI de sa démission. Ce document magistériel insiste sur la spécificité de l’organisation de l’Église et estime que le « démocratisme » serait une « très grave tentation », car il « pousse à ne pas reconnaître l’autorité et la grâce capitale du Christ et à dénaturer l’Église, comme si elle n’était qu’une société humaine. Cette conception touche à la constitution hiérarchique telle qu’elle a été voulue par son Divin Fondateur, telle que le Magistère l’a toujours clairement enseignée et telle que l’Église elle-même l’a vécue de manière ininterrompue. » […] Quoi qu’il en soit, cette affirmation doctrinale, récente, d’une organisation et d’une gouvernance marquées par la verticalité, fait écho aux témoignages de victimes et aux interrogations de nombreux experts entendus par la commission, qui considèrent que cette organisation institutionnelle, si elle n’est pas en elle-même la raison des violences sexuelles, participe à la création d’un environnement qui peut se révéler défavorable à la prévention et au traitement des abus. »
Nous voyons à travers ce texte le choix délibéré de la CIASE de donner comme solution au problème des abus un changement au cœur même de la doctrine de l’Eglise alors même que les observations faites sur le terrain nous ont conduit à une analyse qui mettait en cause un biais dans la sélection des prêtres, liée à l’orientation sexuelle. Certes, ce biais n’est pas totalement indépendant de la question du célibat. Mais il est tout à fait possible de le traiter de manière adéquate sans remettre en cause le célibat comme Benoit XVI avait souhaité le faire en 2005.
Un autre exemple de ce biais interprétatif est dans l’explication que donne le rapport INSERM lorsqu’il cite l’instruction de 2005 : Là où Benoit XVI souhaite avoir des prêtres équilibrés, qu’ils soient d’ailleurs de tendance homosexuelle ou non, les auteurs du rapport y voient une crispation envers les gays là où l’honnête homme ne peut qu’y voir une excellente prévention contre les abus comme nous l’avons mentionné plus haut (cf. note de bas de page 33). Alors même que l’observation scientifique de la fréquence trop importante de la pédophilie dans l’Église aurait dû les conduire à la même conclusion que Benoît XVI.
Tout ceci confirme la logique CIASE : plaquer une interprétation issue de la théologie progressiste ou des stéréotypes propres à la sociologie contemporaine sur l’institution Église pour tenter de sortir des abus.
Il faut cependant noter que certaines propositions du rapport CIASE, comme la présence de femmes au sein des séminaires, sont très utiles pour aider au discernement dans le choix des candidats au sacerdoce, grâce aux qualités féminines, qui plus est de mères de famille expérimentées. Ceci fut mis en place dans plusieurs séminaires avec succès et mérite d’être étendu, ce qui montre là encore que la CIASE semble s’adresser à l’Église du passé dans ses recommandations, ou une autre manière de le dire, que la CIASE n’était pas nécessaire pour déterminer les bonnes pratiques qui sont déjà existantes. Elle aurait dû avec plus de modestie recenser ces bonnes pratiques existantes – encore une fois, c’était d’ailleurs l’objet de la mission confiée par la CEF et la CORREF - et inscrire ses recommandations dans la tradition séculaire de l’Église.
Chapitre suivant :
5 - Dénoncer le caractère « systémique » pour remettre en cause l’institution était un coup de bluff en passe de réussir
[1] Jacques Bonnet, dans son article dans le journal L’Homme Nouveau (n°1748 du 4/12/2021), note avec justesse l’approche malhonnête de la CIASE qui regroupe pour l’Église tous les lieux d’abus (écoles, patronages, paroisses…) pour produire ce chiffre de 1,2%, tandis que les lieux laïcs (écoles, clubs de sport…) sont éclatés. En sommant les différents lieux laïcs, les chiffres sont équivalents. Cet argument suffit déjà à éliminer le concept de « plus forte prévalence » du rapport CIASE.
On notera aussi que certaines observations de cet article de L’Homme Nouveau sont similaires aux observations du présent article qui a été rédigé principalement en novembre, donc sans lien avec celui-ci. Que des analyses critiques indépendantes convergent ainsi tendent à démontrer le caractère biaisé du rapport CIASE.
[2] Ou tout simplement par le fait que certains hommes qui ont la vocation d’éduquer les jeunes sans aucune arrière-pensée perverse initiale, sont plus enclins en vieillissant à être tentés d’abuser ces jeunes.
[3] Fin des petits séminaires, fermeture des pensions religieuses, remplacements des prêtres par des laïcs dans les établissements d’enseignement, mixité dans les établissements scolaires et des enfants de chœur…
[4] La ratio abus garçon vs fille dans la population générale est de 1/2,88. Chez les prêtres il est de 3,65. Donc relativement à la population générale, la part de garçons abusés est de 3,65/(1/2,88) = 10,05, soit 10 fois plus important.
[5] 43% x 100 % + 57% x 25,8% = 57,8%
[6] Hormis dans le § 506 du rapport Sauvé, mais qui est comme une bouteille à la mer, puisqu’il ne fait l’objet d’aucune suite.
[7] Terme exact venant du grec pedo et eros soit l’amour physique des enfants tandis que l’étymologie de pédophilie fait appel au terme grec de philia qui est un amour d’amitié.
[8] Guillaume Cuchet (in https://www.la-croix.com/Debats/Il-bien-correlation-entre-homosexualite-pedophilie-lEglise-2021-10-28-1201182704) a souligné cette sur représentation de prêtres à tendance homosexuelle que le rapport met en évidence, mais il ne va pas jusqu’au bout du raisonnement en expliquant que cette sur représentation est une cause de la forte prévalence.
[9] https://www.revueciase.fr/images/InstBXVI.pdf
[10] Cette remarque fait directement écho au § 0547 du rapport CIASE déjà mentionnée au § 4.2 « La sexualité des agresseurs de victimes mineures de sexe masculin ou des deux sexes semble plus développée avec un sentiment de frustration plus important comparativement aux agresseurs de victimes de sexe féminin », marquant la justesse de l’instruction du pape.
[11] https://www.cath.ch/newsf/rome-benoit-xvi-approuve-une-nouvelle-instruction/
[12] Page 222 du rapport INSERM
[13] Il y a ici très certainement un lapsus des rédacteurs sur rapport INSERM dans cette phrase, là où il est écrit hétérosexuel, il faut comprendre homosexuel, sinon il n’y a pas de cohérence avec le reste de l’argumentaire et la « surreprésentation des personnes homosexuelles » de la phrase suivante.
[14] Le « outing » est le fait de rendre public l’homosexualité d’une personne.
[15] Militant homosexualiste, audité par la CIASE : https://www.ciase.fr/wordpress/wp-content/uploads/2019/10/2019-07-05-CR-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Martel.pdf
[16] Sodoma : Enquête au cœur du Vatican (Robert Laffont, 2019)
[17] N°22, avril-mai 2003, « L’Eglise américaine à l’épreuve », l’auteur Frédéric Bléhaut cite l’archevêque E.F. Curtiss « Pendant des années, on a pu constater une « homosexualisation » de certains séminaires ou congrégations religieuses ». Cet article rapport aussi des analyses très similaires à celles de Frédéric Martel dans Sodoma en parlant de « contre-culture gay » au sein du clergé et de « mafia rose ».
[18] CEC 2357
[19] Rapport INSERM, page 10.
[20] Page 310
[21] https://fr.aleteia.org/2021/11/20/limpense-de-la-theologie-du-corps-dans-le-rapport-de-la-CIASE/
[22] Notamment « Leur organisation interne a le plus souvent pris soin de se mettre à distance, autant que faire se pouvait, de toute régulation et de tout contre-pouvoir interne (à l’Église) ou externe (dans la société) »